Facettes de la S&S (19) : quelques auteurs aux frontières


J’ai fait le tour d’un bon nombre d’auteurs au fil de cette série de billets, mais ils sont loin de représenter la totalité de la sword & sorcery ; le post consacré aux ersatz de Conan m’a déjà permis d’en nommer quelques autres. Mais le billet d’aujourd’hui est plutôt l’occasion d’évoquer des auteurs ou des œuvres qui ont une dette envers la S&S, sans pour autant appartenir en plein au genre. Comme toujours avec les genres littéraires, les frontières sont floues, et certains auteurs que j’ai inclus dans la S&S (comme M. John Harrison ou Steven Brust), un autre lecteur ne les intégrerait pas forcément. J’ai fait des choix, mais voici quelques auteurs qui auraient pu, en fonction du point de vue, être inclus dans la liste.



Gene Wolfe (né en 1931), avec son Livre du Nouveau Soleil (1980-1983), s’inscrit dans la tradition de la Terre mourante représentée par Clark Ashton Smith, Jack Vance et M. John Harrison. Sa séquence s’apparente même à la S&S en ce qu’elle est largement un récit d’errance, centré sur un personnage principal, Severian le Bourreau. Mais le Livre du Nouveau Soleil emploie une patine de S&S pour construire un récit largement symbolique et allégorique, aux consonances christiques. La S&S est un tremplin passager pour cette œuvre inclassable.


Glen Cook (né en 1944), Steven Erikson (né en 1959, déjà évoqué ici), Joe Abercrombie (né en 1974)  et Mark Lawrence (né en 1968) sont des auteurs qui partagent un même ton cynique et dur-à-cuire, un même goût pour les sujets militaires et guerriers, et une même tendance à parsemer leurs séries d’éléments de S&S. L’un des anti-héros de la première trilogie d’Abercrombie (La Première Loi, 2006-2008), Logen, est un barbare dans le moule de Conan. La trilogie, toutefois, est plutôt une satire de la high fantasy, de son idéalisme et de son culte de l’héroïsme, qu’une série de S&S à proprement parler. De même, le Malazan Book of the Fallen (1999-2011, Livre malazéen des glorieux défunts ou Livre des martyrs, selon les traductions) de Steven Erikson est une séquence militaro-civilisationnelle complexe, mais qui comporte un certain nombre de personnages qui auraient leur place dans le monde de la S&S : le guerrier ténébreux Anomander Rake avec son épée buveuse d’âmes est une référence nette à Elric de Melniboné, par exemple.



Je suis actuellement en train de lire la trilogie de L'Empire brisé (2011-2013) de Mark Lawrence (je suis à mi-chemin du deuxième livre), et on sent le même type d'attrait pour la S&S, avec un côté "Terre mourante" et une bonne dose de grimdark (on sait que j'aime ça). Le côté dynastique et géopolitique dépasse le cadre de la S&S, mais j'attends vraiment de voir où va le récit pour savoir quel est le ton global de la trilogie : c'est très difficile à prévoir, ce qui est une des grandes forces de cette saga. Attention, toutefois : si vous avez trouvé la Crécerelle antipathique, Jorg, le protagoniste de la trilogie, vous retournera l'estomac.



Des quatre, Glen Cook, avec son Cycle de la Compagnie noire (1984-2000), est celui qui se rapproche le plus de la S&S classique. Certes, il remplace le héros solitaire avec une compagnie de mercenaires, et son histoire est, en fin de compte, une histoire de lutte entre le Bien et le Mal dans un univers de high fantasy, mais tout est une question de point de vue : le fait que la perspective soit située du côté de protagonistes à la moralité ambiguë, simples mercenaires dans une guerre dont les enjeux ne les intéressent pas au début, est intéressant. On est dans de la dark fantasy, comme chez Abercrombie, Erikson et Lawrence ; et la dark fantasy et la S&S ont de nombreuses zones de recoupement.



J’ai déjà parlé de Michael Moorcock avec enthousiasme, mais j’ai dû faire des choix : une seule de ses séries relève vraiment de la S&S – celle qu’il consacre à Elric. Ses autres héros ont tendance à lorgner vers d’autres genres, comme l’uchronie, la fantasy historique, le mélodrame, le roman de cape et d’épée, le conte folklorique, et j'en passe. Ce serait une erreur, pourtant, d’être trop rigide : la langue que parle Moorcock est celle de la S&S, à un niveau très viscéral, et toutes ses histoires s’en trouvent colorées. J'ai longtemps hésité à inclure les aventures d'Hawkmoon, par exemple. Et Moorcock a aussi goûté au genre de la Terre mourante avec sa série des Danseurs de la fin des temps (1972-1976), même si elle est plus psychédélique et satirique qu’aventureuse.



Pour finir, j’ai exclu tout le genre de la planetary romance qui s’est développé à la suite des aventures martiennes de John Carter par Edgar Rice Burroughs, c’est-à-dire toutes les aventures (populaires surtout dans les années 30 à 50) qui se déroulent sur d’autres planètes dans une ambiance futuro-antique. La frontière entre la planetary romance et la S&S est parfois floue, comme dans certains romans de Leigh Brackett (notamment L’Épée de Rhiannon, 1942). Chez certains auteurs masculins, ce genre est particulièrement enclin aux fantasmes de puissance virile, presque plus que la S&S classique. C’est un peu le cas avec la Saga des Hommes-Dieux (1965-1993) de Philip José Farmer, qui reste d’excellente qualité malgré cela. C’est aussi le cas, avec des résultats moins heureux, pour les Chroniques de Gor de John Norman, qu’il écrit depuis 1966 et qui sont un vaste reposoir de fantasmes violents et misogynes.

Y a-t-il des œuvres que j’aurais dû traiter lors de mon parcours et dont l’absence vous scandalise ? À la différence de Mallarmé je n’ai pas lu tous les livres... Je serais donc ravi de découvrir des choses que je ne connais pas. Parmi des oeuvres récentes que je n'ai pas encore lues, je me dis que je devrais jeter un coup d'oeil à ce qu'écrivent Jay Kristoff et Nicholas Eames, et bien sûr lire Des sorciers et des hommes de Thomas Geha. Toute autre recommandation sera la bienvenue !



(Première illustration : Don Maitz / Dernière illustration : Dave Palumbo)

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