Facettes de la S&S (2) : Robert E. Howard, le fondateur
Pour faire de la bonne sword & sorcery, il faut deux ingrédients : des épées et
de la sorcellerie. Et chez Robert Howard (1906-1936), on a les deux en
abondance.
Connu surtout comme le créateur de Conan le
Cimmérien, Howard a écrit un nombre impressionnant de nouvelles en peu de temps
(il s’est suicidé à l’âge de trente ans), le plus souvent pour le magazine Weird Tales, à la même époque que H. P.
Lovecraft et Clark Ashton Smith. Conan n’est pas son premier héros de
S&S : entre autres il invente deux héros semi-historiques, le Picte
Bran Mak Morn et l’Irlandais du xie
siècle Black Turlogh, qui annoncent d’une certaine façon Conan, sans être
vraiment de la S&S ; surtout, en 1929 il crée Kull, héros atlante, qui
n’apparaît que dans trois nouvelles publiées du vivant d’Howard, mais qui sert
de prototype à Conan.
Conan apparaît pour la première fois en 1932,
dans la nouvelle « Le phénix sur l’épée », qui est en réalité la
réécriture d’une aventure de Kull qui n’avait pas été publiée. Avec Conan,
Howard trouve un filon : il publiera 17 nouvelles et un roman (L’Heure du dragon) consacrés à ce héros
de son vivant, sans compter plusieurs nouvelles posthumes ou inachevées. Le
personnage de Conan incarne aux yeux de beaucoup un des stéréotypes les plus
simplistes de la fantasy : le fantasme de puissance viril et bas de
plafond qui écrase ses ennemis et conquiert toutes les femmes, sans se laisser
dompter par les lois humaines ou divines.
En réalité, Conan est un personnage plus
subtil que ce que les adaptations subséquentes ont pu laisser croire (notamment
les adaptations cinématographiques des années 80, qui sont d’un intérêt
certain, mais qui ne bénéficient pas d’un jeu d’acteur très nuancé de la part
d’Arnold Schwarzenegger). C’est un
« barbare » qui parcourt les terres « civilisées » en
tentant de comprendre leurs règles du jeu, mais sans renier ses propres
convictions. Éternel marginal, solitaire perpétuellement poussé par son propre
désir, Conan veut avant tout être libre ; et si être libre veut dire se
hisser sur le trône d’Aquilonie pour ne plus jamais avoir à courber l’échine,
alors soit. Et Conan est loin d’être une brute qui ne sait que donner des
coups : au fil des histoires il est tantôt cambrioleur, pirate, mercenaire
ou roi.
Certains aspects de l’œuvre d’Howard sentent un peu le moisi aujourd'hui. Sa vision de l’opposition entre sauvage
et civilisé, sa réflexion sur le déclin des peuples et sa vision très
racialisée de l’humanité fleurent trop les années 30. On remarquera toutefois qu'il n’y a pas vraiment de peuples supérieurs ou inférieurs dans l’âge hyborien, mais
plutôt une roue des civilisations qui tourne perpétuellement, sans ordre fixe. De même, les aventures de Conan sont certes remplies de jeunes femmes vaniteuses ou
éplorées, mais aussi d’héroïnes puissantes comme la reine des pirates Bêlit (dans « La reine de
la Côte noire »), ou l’aventurière Valeria (dans
« Les clous rouges »).
Surtout, le monde dans lequel évolue Conan
surprend sans cesse. Fait de bric et de broc, il évoque l’Antiquité, aussi bien
romaine que babylonienne ou barbare, mais ne se soumet jamais à un seul modèle
historique. Conan a une sainte horreur de la magie, mais il se retrouve
constamment confronté à ses utilisateurs ou à des créatures venus du fond des
âges, d’autres dimensions ou des gouffres interstellaires : le surnaturel
dans le monde hyborien est une source constante d’effroi et d’étonnement. Rien
d’étrange à cela : Howard correspond de manière régulière avec son aîné
Lovecraft, et bien des éléments horrifiques et cosmiques de ses nouvelles ont
des affinités avec ce que l’autre grand
auteur de Weird Tales produit à la
même époque. La différence principale entre les deux, c’est que Conan est
toujours à même d’écraser sous sa botte les pires monstruosités auxquelles il
se trouve confronté : on est loin de la terreur existentielle des récits
lovecraftiens. Mais derrière ces divergences, le monde de Conan est un univers largement
nihiliste, où seules les actions humaines donnent du sens à l’existence.
Pour le meilleur et pour le pire, Howard
invente la S&S avec Kull et surtout Conan. Pour le pire, parce que Conan
sera imité à l’excès (je parlerai une autre fois des ersatz et des pastiches de
Conan) et parce qu’il ne donne pas à priori une image très sophistiquée de ce
que peut être un héros de fantasy. Et pour le meilleur, parce que tous les
ingrédients du genre sont réunis : un héros solitaire et errant, une étrangeté
radicale, un univers bariolé, des aventures hautes en couleur, pleines de bruit
et de fureur, et surtout une énergie communicative.
Recommandations de lecture : Je suis particulièrement fan de « La tour de l’éléphant », de « La maison aux trois bandits » et du roman L’Heure du dragon. Dans tous les cas, il
vaut mieux lire les éditions les plus récentes, qui se concentrent sur l’œuvre
d’Howard seul et pas sur ses continuateurs posthumes.
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