Facettes de la S&S (3) : Clark Ashton Smith, le père secret
Howard est la face publique de la sword & sorcery à
ses débuts ; Clark Ashton Smith (1893-1961) en incarne le visage caché et
ténébreux.
De la même génération que
Lovecraft, Smith partage avec son collaborateur à Weird Tales un certain nombre de penchants artistiques. Ils sont
tous deux des héritiers du symbolisme et du décadentisme fin-de-siècle, et se
considèrent comme des esthètes. Smith écrit d’abord de la poésie, de 1918 à
1925, avant de passer à la fiction. Ses nouvelles ont souvent une coloration ésotérique,
et Smith est, comme Lovecraft, un grand inventeur de divinités immémoriales et
d’entités cosmiques : c’est le premier grand contributeur tiers au Mythe
de Cthulhu.
Là où Smith s’éloigne de Lovecraft et devient
intéressant pour l’histoire de la S&S, c’est qu’un grand nombre de ses
nouvelles se déroule dans des univers de fantasy plutôt que dans un cadre
contemporain. Trois de ces univers sont particulièrement frappants et sont
déployés au fil de plusieurs nouvelles : la province française médiévale
d’Averoigne, hantée par des créatures et des spectres malfaisants ; le
monde perdu d’Hyperborée ; et Zothique, une vision de la Terre mourante à
la fin des temps.
Les deux derniers sont ceux qui relèvent le
plus de la S&S, même si Smith n’est pas amateur de héros récurrents, au
moins en partie parce que ses histoires partagent le goût lovecraftien pour
l’horreur cosmique, et que les protagonistes ne survivent pas nécessairement
très longtemps. L’Hyperborée est une sorte d’âge de fer de fantasy, pas si
différente, en termes de cadre, de l’Âge hyborien de Conan, mais bien plus
sinistre. La première nouvelle qui s’y déroule, « L’Histoire de Satampra
Zeiros » (1931), est une histoire de voleurs, comme beaucoup de nouvelles
de Conan, mais elle introduit aussi la divinité Tsathoggua, digne rivale de
Chtulhu ou de Nyarlathotep.
Le monde de Zothique est encore plus
singulier. Smith est l’inventeur du topos de la « Terre mourante »,
qui sera repris par des auteurs comme Jack Vance, M. John Harrison ou Gene
Wolfe : Zothique est un continent du lointain futur de notre planète, mais
la civilisation y est revenue à un état antico-médiéval, et la magie a repris
ses droits. C’est un monde baroque et décadent, où horreurs et étrangetés
abondent.
Comme Howard (et Burroughs), Smith situe ses
univers de S&S dans un continuum avec le nôtre : l’Âge hyborien de
Conan se situe dans notre passé lointain, et les mondes de Smith appartiennent,
de même, à notre passé éloigné (Hyperborée), à notre passé proche (Averoigne)
ou à notre ultime futur (Zothique). Mais, comme le monde de Conan, ceux de
Smith prennent leur indépendance à travers des efforts délibérés de
défamiliarisation : tout y est monstrueux, bizarre ou simplement
horrifique. J’aime particulièrement le goût de Smith pour les noms propres
hauts en couleur : hormis Satampra Zeiros, Tsathoggua ou Zothique, on peut
citer la cité d’Uzaldaroum, le personnage Avoosl Wuthoqquan, le Mont Voormithradeth ou encore la ville de
Zul-Bha-Sair. Les noms de lieux de La
Crécerelle doivent beaucoup à ceux inventés par Clark Ashton Smith (qui
lui-même se situe dans la lignée de Lord Dunsany).
Plus globalement, comme les univers de Smith
ne sont pas liés à un protagoniste en particulier, ils m’ont davantage
influencé que ceux, plus fermement enchaînés à un héros donné, d’Howard ou de
Moorcock, par exemple. S’inspirer des univers de Conan ou d’Elric, c’est se
condamner à s’inspirer de ces deux héros, tant l’univers sert de faire-valoir au
personnage dans ces deux cas. Avec Smith, il y a au contraire un vrai plaisir
dans l’invention de mondes pervers et baroques dans lesquels tout peut arriver.
En cela, Smith n’est peut-être pas un auteur de S&S traditionnel, mais il
en est l’un des plus originaux.
Recommandations de lecture : L’intégrale Zothique
publiée l’an dernier chez Mnémos, évidemment ; et une fois cette lecture achevée, il sera temps d'attaquer l'intégrale Hyperborée & Poséidonis qui sort en mars, toujours chez Mnémos.
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