Facettes de la S&S (5) : Fritz Leiber, la seconde génération


Fritz Leiber (1910-1992) a seulement quatre ans de moins que Robert E. Howard et un an de plus que C. L. Moore, mais il représente tout de même la seconde vague de la sword & sorcery, celle de l’après-guerre. À cet égard, il porte sur le genre un regard qui est déjà critique, et il tente d’en renouveler les codes, qui sont déjà bien ancrés.

Il est difficile de minimiser l’importance de Fritz Leiber dans l’histoire de la fantasy. Sa série de nouvelles (et un roman) consacrée au duo de Fafhrd et du Souricier Gris, écrite entre 1939 et 1988, est un monument du genre : composée dans un style raffiné et ironique, elle prend à contrepied les fantasmes de puissance qui irriguaient les pulps de l’entre-deux-guerres au profit de personnages qui sont simultanément des héros et des ratés. Fafhrd, comme Conan, est un barbare, mais il est aussi introspectif et poète ; le Souricier Gris est un gringalet dont la ruse est l’arme principale. Ces deux camarades mal assortis mais inséparables parcourent le monde de Nehwon (clin d’œil érudit à l’Erewhon de Samuel Butler) en tentant de faire fortune, mais en passant le plus clair de leur temps à sauver leur peau plutôt qu’à accroître leur pactole.



Au centre des aventures de Fafhrd et du Souricier se trouve la ville de Lankhmar, archétype de toutes les cités de fantasy, avec ses rues étroites, ses temples, ses guildes, ses tavernes, ses souterrains et ses bizarreries en tous genres. C’est en quelque sorte le troisième personnage principal de ces histoires : les deux aventuriers ne cessent d’y retourner et d’y vivre leurs aventures les plus intenses, les plus tragiques et les plus comiques. Lankhmar, dans sa diversité faite de bric et de broc, est comme une métaphore de la variété de tons adoptés par Leiber au fil de ses récits.


Leiber écrit à peu près à la même époque que Tolkien. Si ce dernier concentre et sublime toutes les qualités de la fantasy britannique esthétisante et érudite, Leiber représente le point d’orgue de la fantasy américaine, populaire et haute en couleurs. Sans doute Tolkien prend-il ses propres créations plus au sérieux que ne le fait Leiber, qui semble toujours très conscient de jouer avec des êtres de papier. Ses histoires sont ludiques avant tout. Le fait qu’elles se consacrent à un duo de héros plutôt qu’à un paria solitaire en est sans doute le symptôme : Le badinage constant entre les deux camarades, même dans les circonstances les plus périlleuses, n’est pas pour rien dans la séduction opérée par ces récits.

Pas tout à fait accessoirement, c’est Fritz Leiber qui aurait inventé l’expression sword & sorcery, en 1961 (en réponse à une question de Michael Moorcock, dont je parlerai bientôt).

Recommandations de lecture : Leiber a beaucoup écrit sur Fafhrd et le Souricier Gris, il y a donc à boire et à manger. J’ai une préférence particulière pour les nouvelles « Mauvaise rencontre à Lankhmar », « La maison des voleurs », « Le bazar du bizarre »,  « Le nuage de haine » et « Jours maigres dans Lankhmar ».



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