Facettes de la S&S (6) : Jack Vance, futur antérieur

Le motif de la
Terre mourante est récurrent en sword
& sorcery. Instauré par Clark Ashton Smith dans son cycle de Zothique, il a été repris par plusieurs
auteurs, Jack Vance au premier chef. Il faut croire qu’il y a quelque chose de
profondément séduisant dans l’image d’une Terre retournée à un état
pré-industriel et pré-scientifique, dominée par une magie résurgente ;
comme si l’avenir rêvé et le passé fantasmé se rejoignaient, et que l’âge des
aventures et des mystères reprenait ses droits à la vingt-cinquième heure,
alors que le monde est sur le point de rendre l’âme.
Vance (1916-2013)
est un auteur de science-fiction avant tout, et les histoires qui constituent
son cycle de la Terre mourante
relèvent donc plus de la science fantasy
que de la fantasy tout court : on n’est pas si éloigné de la Barsoom
d’Edgar Rice Burroughs dont j’ai parlé au début de cette série, elle aussi une
planète en phase de déclin terminal.
Les histoires du
cycle sont rassemblées en quatre volumes. Le
Monde magique (1950) présente l’aspect le plus éclaté : les histoires
qui la constituent ont des protagonistes différents et présentent une vue
panoramique de cette Terre du futur, dominée par un immense soleil rouge, où la
magie est en pleine réémergence mais où les traces de l’ancienne technologie,
mal comprises par les humains restants, continuent de se faire sentir.
Avec Cugel l’astucieux (1965), en revanche,
Vance introduit un héros de S&S
classique, le Cugel éponyme, qui sera aussi le protagoniste du volume suivant, Cugel saga (1983). Cugel est un
personnage vancien typique, beau parleur, rusé et prêt à tout, qui parcourt la
Terre mourante en poursuivant toujours son propre intérêt. Tout comme le
Souricier Gris de Fritz Leiber, il renouvelle un genre dominé jusque là par des
héros taciturnes et guerriers.
Le dernier
volume du cycle, Rhialto le merveilleux
(1984), remplace Cugel par un autre protagoniste. Rhialto est un magicien, lui
aussi issu du moule vancien, exubérant et arrogant. Plus encore que dans
les volumes précédents, la magie est donc au centre de celui-ci ; le
système thaumaturgique de Vance, construit autour de sorts aux noms ronflants
et à rallonge, n’est pas le moindre plaisir de lecture de ces livres.
Jack Vance est
un auteur si singulier et si unique qu’il est parfois difficile de le rattacher
à des mouvements littéraires ou des tendances précises. Mais dans le cadre de
l’histoire de la S&S, il me
semble qu’on peut relier son travail à celui de Leiber : les deux
auteurs sont représentatifs d’une seconde génération soucieuse d’assouplir les
cadres et les clichés de la précédente, en introduisant de l’humour et du
second degré dans le genre, et en renouvelant les types de protagonistes.
Mais
en même temps, Vance s’inscrit pleinement dans la tradition de la S&S en reformulant la Zothique de
Clark Ashton Smith, et il pérennise ainsi le motif de la Terre mourante (auquel
il donne son nom), ce qui lui permettra d’être repris à nouveau par des auteurs
subséquents comme Michael Moorcock ou M. John Harrison, sans compter Gene Wolfe
dans Le Livre du nouveau soleil (qui
est plus difficilement catégorisable dans la S&S).
Recommandations
de lecture : Difficile de ne pas recommander les
quatre tomes du cycle en entier. Si on préfère les héros récurrents et les
histoires plus suivies, les deux volumes consacrés à Cugel sont un bon point de
départ.
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