Mon Canada SFFF


Le Canada est à l'honneur aux Imaginales cette année, et ça me fait bien plaisir.

J'ai vécu au Canada pendant plusieurs années et j'ai encore un pied (et demi) dans le pays : alors que j'écris ces lignes, je suis à Québec pour quelques jours (depuis mon bureau, je profite d'une vue qui va jusqu'au parc national de la Jacques-Cartier, je ne vous dis que ça).

Pendant mes années ici, j'ai fréquenté à la fois la région de Toronto, celle de Montréal et celle de Québec. Dans les trois il fait bon être un fan de SFFF, entre les librairies spécialisées, les boutiques de jeux, les conventions de culture geek et j'en passe. La boutique Imaginaire à Sainte-Foy, dans la banlieue de Québec, est le genre d'endroit dans lequel je peux passer des heures - tout comme Le Valet d'Coeur à Montréal. À Toronto j'ai trop peu visité la librairie Bakka Phoenix Books, mais à chaque fois j'y ai fait des super trouvailles (c'est grâce à eux que j'ai pu compléter ma collection des romans de Jack Womack... ceux qui connaissent comprendront mon enthousiasme). Je n'ai jamais eu l'occasion d'aller à Fan Expo à Toronto, mais je suis allé deux fois au Comiccon de Montréal, moins gigantesque mais très rigolo (respect aux cosplayers, qui sont la vraie âme des conventions).


Le Canada occupe une place importante dans ma bibliothèque idéale de SFFF. Plus du côté science-fiction que du côté fantasy, à vrai dire, mais il y a des exceptions.



Par exemple j'ai dévoré la décalogie du Malazan Book of the Fallen (Le Livre malazéen des glorieux défunts) de Steven Erikson il y a quelques années. Le côté impitoyable et sombre de l'univers d'Erikson a dû déteindre sur moi, d'ailleurs... Certains aspects de son cycle me paraissent typiquement canadiens, notamment l'accent porté sur la diversité des cultures et le relativisme des valeurs ; mais aussi la réflexion sur les populations autochtones, et sur les différentes strates de peuplement et de culture qui informent l'histoire d'un territoire. Il faudra que je contienne mon côté fanboy quand je croiserai Erikson aux Imaginales (je ne promets rien).

Toujours en fantasy, j'aime aussi Charles R. Saunders, l'auteur du cycle d'Imaro : j'en parlerai bientôt dans ma série sur la sword & sorcery. Et je suis très fan de Cédric Ferrand (OK, il est français, mais il vit à Montréal : ça vaut, non ?), même si je triche un peu, puisqu'il n'écrit pas que de la fantasy (beaucoup aimé Wastburg et Sovok, hâte de lire son troisième).


Mais c'est vraiment du côté de la SF que se trouvent mes amours canadiennes les plus intenses. Le Canada, pays post-national, terre d'immigration et de multiculturalisme assumés, est une sorte de société expérimentale, un pays sans passé ou presque (si l'on excepte le passé riche et complexe de ses peuples autochtones, et le passé déjà long du Québec), où l'avenir reste ouvert. Cela en fait un lieu idéal pour réfléchir sur l'ultra-contemporain et le futur immédiat.


Du coup j'ai un goût tout particulier pour les auteurs canadiens de SF qui s'intéressent à l'avenir proche, au premier rang desquels se trouve le Canadien d'adoption qu'est William Gibson. Je pourrais parler de Gibson pendant des semaines : pour aujourd'hui, je me limiterai à dire que c'est mon auteur de SF préféré, et l'un de mes deux ou trois auteurs préférés toutes catégories. Membre fondateur du mouvement cyberpunk, il s'est toujours intéressé au monde de demain ou d'après-demain plutôt qu'au futur lointain. Au fil de ses romans, il s'est rapproché de plus en plus du présent, jusqu'à ses trois romans contemporains inaugurés par Pattern Recognition (Identification des schémas), sans doute mon roman préféré des vingt dernières années.


Dans un style comparable, j'aime énormément Down and Out in the Magic Kingdom (Dans la dèche au royaume enchanté) de Cory Doctorow, un auteur originaire de Toronto. Je suis un peu moins fan de ses autres livres, qui ressemblent trop à des romans à thèse, mais Down and Out est à mon avis l'un des meilleurs romans de SF de la décennie 2000. L'histoire se déroule au sein d'une commune anarchiste qui a pris le contrôle de Disneyland : il y a pire, comme pitch.

Tant qu'on parle de Torontois (d'origine ou d'adoption), récemment j'ai beaucoup aimé Technicolor Ultra Mall de Ryan Oakley, un mélange de cyberpunk, de post-apocalypse et d'Orange mécanique sorti en 2011, et qui se passe dans un gigantesque centre commercial abritant toute la population restante de Toronto. Et encore plus récemment, Company Town, le troisième roman de Madeline Ashby (sorti en 2016) m'a mis en joie : cyberpunk, social, écolo, il prend pour cadre une plateforme pétrolière en cours de démantèlement et déroule une intrigue policière parfaitement ficelée. Vachement bien.

Oui, j'aime le cyberpunk : vous l'aviez peut-être déjà remarqué.


Ce que j'aime aussi avec la SF canadienne, c'est sa capacité à brouiller les frontières avec la littérature "générale". Gibson, comme je le disais, a écrit trois romans contemporains au début des années 2000. Inversement, Margaret Atwood, qui se rapproche sans doute le plus du statut d'écrivain national au Canada, a écrit plusieurs romans de SF dans des tons très variés, allant de la dystopie politique (The Handmaid's Tale/La Servante écarlate, évidemment) à la post-apocalypse ironique. Très chouette. Et Vancouver, patrie d'adoption de William Gibson, est aussi la résidence de Douglas Coupland, chantre de l'ultra-contemporain, de l'immédiateté et du superficiel profond - pas vraiment un auteur de SF, mais pas vraiment un non-auteur de SF non plus (si je me fais comprendre). Generation X, son premier roman, ne s'est jamais périmé.


Côté cinéma, il y a bien sûr David Cronenberg, que j'ai découvert quand j'ai commencé mes études et auquel je voue une admiration toute particulière, de celles qu'on éprouve pour les créateurs qu'on découvre à dix-huit ans. Beaucoup de lecteurs ont relevé des éléments lovecraftiens dans La Crécerelle, mais en réalité il y a presque autant de Cronenberg que de Lovecraft dans ces passages.

Plus récemment, les deux derniers films de Denis Villeneuve, Arrival (Premier Contact) et Blade Runner 2049 (encore du cyberpunk, c'est plus fort que moi), m'ont énormément impressionné.


Et puisque ce billet est tout à fait subjectif, je vais faire un aveu : je fais partie des rares personnes (on doit être deux) qui aiment beaucoup Johnny Mnemonic, le film américano-canadien de Robert Longo adapté de la nouvelle de William Gibson, avec Keanu Reeves (encore un Canadien), Dolph Lundgren, Ice-T et Takeshi Kitano (et même Henry Rollins !). Je ne connais pas la honte.


Enfin, ma bibliothèque idéale de SFFF est aussi une bibliothèque ludique : côté jeux vidéo, les studios BioWare m'ont ravi avec les séries Baldur's Gate (ouais, je suis vieux) et Mass Effect, tout comme les studios Eidos Montréal avec Deus Ex: Human Revolution (encore une réflexion sur le futur immédiat, tiens, et dans un format cyberpunk, tiens tiens).


Et dans le domaine du jeu de rôles papier, je ne peux que chanter les louanges de Robin D. Laws (encore un Torontois), qui a co-développé Over the Edge (Conspirations), peut-être le meilleur JDR jamais créé (ouaip). Il a aussi inventé le système de règles Gumshoe, conçu pour des jeux d'enquête, et sur lequel se fondent plusieurs JDR publiés par Pelgrane Press. Je recommande chaudement. En plus, Laws a l'air hyper sympa : le podcast qu'il anime avec Kenneth Hite, Ken and Robin Talk About Stuff, est un délice.

Ce petit parcours, trop court et trop long à la fois, est résolument personnel : il y a beaucoup d'oeuvres et d'auteurs majeurs que je n'ai pas mentionnés, généralement parce que je ne les ai pas lus/vus. Mais c'est mon petit coin de Canada SFFF, l'une des raisons pour lesquelles j'aime ce pays. Si vous avez des recommandations de lecture/visionnage à me faire, laissez un petit commentaire !

En guise de conclusion, un peu de pop futuriste. L'artiste vancouvéro-montréalaise Grimes produit le son du futur depuis 2010, et le présent ne l'a toujours pas rattrapée. Son premier album, Geidi Primes, était un hommage à Dune, et la SF continue à jouer un rôle important dans sa création. La chanson "Kill v. Maim" est tirée de son quatrième album, Art Angels.

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