Facettes de la S&S (12) : Steven Brust, le goût du polar

Solitaires, parias, tentant tant bien que mal de survivre dans un monde brutal et désenchanté, les protagonistes de sword & sorcery entretiennent depuis le début des points communs avec les héros de polar : la S&S émerge à peu près à la même époque où le style dur-à-cuire fait florès dans le genre policier américain, avec des auteurs comme Dashiell Hammett, James M. Cain ou Raymond Chandler.

Avec Steven Brust (né en 1955), ce lien de connivence devient une influence assumée. Son personnage récurrent, Vlad Taltos, est un humain né dans la capitale de l’empire de Dragaera, dont les habitants majoritaires sont des sortes d’elfes. Méprisé en raison de son espèce mais motivé par un désir de revanche sociale, il devient assassin professionnel au sein d’une des grandes maisons nobles qui font la pluie et le beau temps dans l’empire.


Bien que Vlad soit un assassin et un chef de la pègre, ses aventures, surtout dans les premiers romans, tendent à faire de lui un détective privé. N’ayant pas son pareil pour se retrouver embrouillé dans des affaires d’État et dans des complots machiavéliques, il met son intelligence (et un certain degré d’inconscience) au service de sa survie, mais si en passant il trouve le moyen de mettre à bas les puissants qui abusent de leur pouvoir, il s’en prive rarement.

Les aventures de Vlad Taltos, publiées à partir de 1983, jouent avec le genre de la S&S en le gardant à distance prudente. La cité de Dragaera est une descendante directe de la Lankhmar de Fritz Leiber, et les manigances de Vlad Taltos ne sont pas sans évoquer celles du Souricier Gris dans ses basses œuvres ; et, comme les héros de Leiber, Vlad se retrouve à plusieurs reprises condamné à l’errance, forcé de quitter sa ville natale, sans cesse propulsé vers l’avant par les ennemis qui le pourchassent.


La différence principale entre Vlad et un héros de S&S réside sans doute dans le caractère très entouré du personnage. Dragaera n’est pas simplement un port d’attache récurrent pour lui, c’est son chez soi. Et Vlad collectionne au fil des temps un très grand nombre d’amis qui font de ses aventures – bien qu’elles soient narrées à la première personne – des récits souvent collectifs. Même dans les épisodes plus errants de la série, il est toujours accompagné au moins par son familier magique, Loiosh, un jhereg (sorte de dragon miniature) qui lui parle par télépathie et qui a un caractère bien trempé. Vlad lui-même n'est pas en reste : son sens de l'humour narquois colore tous les romans.

Autre trait saillant, la série n’a pas peur d’affronter des questions politiques parfois douloureuses. Steven Brust est un trotskyste assumé, mais il ne cherche jamais à faire des romans à thèse. Cela ne l’empêche pas de mettre en scène un univers beaucoup plus texturé politiquement que la majorité des séries de S&S.


L’empire de Dragaera est inégalitaire, contrôlé par une aristocratie dont les conflits et les querelles se font sur le dos des classes populaires. Les marchands et les banquiers cherchent à s’enrichir par tous les moyens, sans se soucier des conséquences humaines. Vlad Taltos déteste la politique et son individualisme l’empêche de se sentir concerné par l’injustice sociale, mais le lecteur, lui, voit le fait politique transparaître dans chacune des aventures.

Recommandations de lecture : Les romans sont conçus pour être lus dans l’ordre de publication, bien que celui-ci ne respecte pas l’ordre chronologique de la vie de Vlad. Jhereg, le premier épisode, est un des meilleurs de la série, c’est donc un point de départ parfait. Hélas, seuls les quatre premiers tomes ont été traduits en français.

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