Interview exclusive

On le dit discret. Secret, même. Patrick Moran est un de ces auteurs qui préfère s'exprimer à travers ses livres que face à la presse. Nos journalistes de Star Exclu ont pourtant réussi à obtenir, aprè de nombreux mois de négociation, une interview exclusive avec lui, où il nous parle de ses projets, de ses envies, de ses goûts. En toute simplicité.

Notre équipe s'est rendue à Los Angeles, où Moran possède une colossale villa dans les Hollywood Hills. Après avoir été rigoureusement fouillés et interrogés par son équipe de sécurité, nous avons eu le droit de nous asseoir avec lui, au bord d'une des ses quatre piscines extérieures, pour un entretien sans tabou.

Star Exclu : Merci de nous accueillir dans votre palace !

Patrick Moran : Palace, palace, voyons donc... Quel grand mot ! C'est juste l'une de mes modestes maisons de vacances.

SE : L'une ? Vous en avez plusieurs ?

PM : Quelques-unes, oui... Laissez-moi réfléchir... Il y a celle-ci, celle de Cancún, celle à Chypre, les trois bungalows à Hawaï, le château en Transylvanie, le studio de Palavas... Hmm, je ne sais plus trop combien ça fait en tout.

SE : Dites, ça paye bien, d'être auteur.

PM : Vous n'imaginez pas ! Les gens pensent que c'est mon poste de prof à l'université qui paie mes factures, mais je pourrais prendre ma retraite demain, si je voulais. Je continue juste à enseigner parce que ça me distrait. Il faut bien s'occuper.

SE : L'écriture, ça ne vous occupe pas assez ?

PM : Je vais vous révéler un petit secret... Les autres auteurs vont m'en vouloir de vous dire ça, mais à ce stade de ma carrière, je m'en fiche un peu... La réalité, c'est qu'écrire un roman, ça prend une semaine à tout casser. Les écrivains qui disent qu'il leur a fallu des mois ou des années à suer sang et eau pour produire leur grand-oeuvre, c'est du pipeau. C'est une vieille astuce pour impressionner les critiques. En fait, ils écrivent leurs romans sur un coin de table en quelques jours, puis il partent en vacances pour le reste de la période. Par exemple, je sais de source sûre que George R. R. Martin a fini Le Trône de fer depuis septembre 2004. Il m'a laissé lire la fin, d'ailleurs. C'est pas mal.

SE : Incroyable ! Et est-ce que - mais attendez, qu'est-ce que c'est que ça ?

PM : N'ayez pas peur, c'est juste Athanase, mon jaguar domestique. Tout doux, Athanase, tout doux... Tout doux ! J'ai dit tout doux ! Oh, merde...

[L'entretien s'interrompt quelques minutes pendant que Moran s'enfuit, Athanase à ses trousses. Pendant que le jaguar le poursuit trois fois autour de la villa, des employés de maison viennent nous offrir des vodka-kombucha à l'essence de truffe. Nous tentons d'entamer la conversation avec les gardes de sécurité de Moran, mais ils sont trop occupés à regarder leur employeur se faire poursuivre par un jaguar et à se demander s'ils devraient intervenir. Au bout du compte, Athanase, affligé par la couardise de son maître, finit par abandonner la poursuite et grimpe dans l'arbre en or massif qui lui est réservé dans un recoin du jardin, près du bassin aux esturgeons.]

PM [essoufflé] : Alors... Où est-ce qu'on... Où est-ce... Pardon... Une seconde... Aaaah la vache... Une seconde, une seconde, non non, je vais bien... Ouuuuuh... OK... OK... Où est-ce qu'on en était ?

SE : Euh - je crois que j'allais vous demander où en était le projet de série Netflix basée sur La Crécerelle et Les Six Cauchemars.

PM : Ah oui, la série... Le tournage se passe bien, je crois. Je ne sais pas trop, à vrai dire - on m'a interdit l'accès au plateau.

SE : Ah bon ? Mais pourquoi ?

PM : Oh, des broutilles... Il paraît que l'équipe n'apprécie pas que je passe en plein champ alors que ça tourne, en hurlant "Plus de sang ! PLUS DE SANG !!!!!" d'une voix caverneuse. M'enfin c'est quand même moi qui connais le personnage et l'univers, zut à la fin. Non ?

SE : On parle aussi d'un conflit avec l'actrice principale.

PM : Mais naan... Les médias aiment toujours tout exagérer. C'était pas aberrant de ma part de suggérer que je double ses répliques moi-même, après tout c'est moi qui connais le mieux l'intonation exacte de chacune d'entre elles.

SE : Nous avons cru comprendre que vous vouliez doubler tous les acteurs, et que vous avez même envoyé un enregistrement de quatre heures aux producteurs de la série pour leur montrer toutes les voix que vous pouviez faire.

PM : C'est absurde... Et même si c'était vrai, vous ne pensez pas que Flaubert aurait fait de même, s'il avait pu superviser une adaptation Netflix de Madame Bovary ? Il disait bien, "Madame Bovary, c'est moi." Eh bien, la Crécerelle, c'est moi. Et Mémoire, c'est moi. Et Piskop, c'est moi. Et Rakk-phal, c'est moi. Et ... euh... tous les autres personnages dont j'ai oublié le nom, c'est moi.

SE : Vous êtes en train de dire que vous êtes le Flaubert de la fantasy ?

PM : Par définition, il est impossible de prouver que si Flaubert avait écrit de la fantasy, il n'aurait pas écrit La Crécerelle. Balzac non plus, d'ailleurs. Voilà.

SE : Je vois... Y a-t-il d'autres projets d'adaptation de vos oeuvres ?

PM : Je n'ai pas trop le droit d'en parler, mais que diable ! Je peux vous le révéler en avant-première : nous sommes en train de finaliser les négociations pour une adaptation cinématographique de ma traduction de La Mort le roi Artu.

SE : Vraiment ? Voilà une nouvelle que les fans attendaient avec impatience ! Vous pouvez nous parler un peu du casting ?

PM : Je n'ai pas trop le droit, mais... Disons que j'ai eu plusieurs déjeuners de travail avec un certain Chris.

SE : ... Pratt ?

PM : Nan.

SE : ... Pine ?

PM : Nan.

SE : ... Rock ?

PM : Nan.

SE : ... Hemsworth ?

PM : Nan.

SE : ...topher Walken ?

PM : Hein ? Mais nan.

SE : Qui, alors ?

PM : Chris Evans, voyons.

SE : Il va jouer le rôle d'Arthur ?

PM : Non, ça c'est Chris Hemsworth.

SE : Le rôle de Mordred, alors ?

PM : Non, ça c'est Chris Pratt.

SE : Le rôle de Guenièvre ?

PM : Non, ça c'est Chris Pine. Chris Evans joue Lancelot.

SE : Mais dans La Mort le roi Artu, est-ce qu'Arthur n'est pas censé avoir quatre-vingt-dix ans, et Lancelot  une soixantaine d'années ? Tous ces acteurs ont à peine quarante ans.

PM : Ne gâchez pas la magie d'Hollywood. On pourrait aussi pinailler en disant qu'il n'y a pas de scène de duel de guitare électrique torse nu entre Arthur et Lancelot dans le roman original, mais à ce prix-là, on ne peut plus rien faire.

[À ce moment, la professeure d'escrime de Moran arrive pour sa leçon hebdomadaire. Il rentre dans sa villa pour se changer, et revient vêtu d'une tenue de spadassin de la Renaissance, avec une gigantesque fraise autour du cou et des bottes à éperons. Sa professeure lève les yeux aux ciel pendant qu'il a le dos tourné. Ils s'entraînent pendant quelques minutes, mais Moran reproche à son instructrice de tricher, et après quelques échanges de coups, il a le visage rouge comme une tomate et doit se rasseoir. Nous le laissons reprendre sa respiration à nouveau, tandis que sa professeure repart à bord de sa voiturette de golf rose bonbon.]

PM [à voix basse] : Pas très honnête de tricher comme ça... chaque fois c'est pareil... se croit plus douée que moi... a bien de la chance que je la paye aussi grassement... impossible de trouver du bon personnel ces temps-ci...

SE : Vous avez besoin d'une minute ?

PM : Hein ? Ah oui, l'interview, l'interview. Non, non, ça va. Continuez. C'est presque fini ? C'est bientôt l'heure de ma sieste.

SE : Mais il est neuf heures du matin.

PM : Ben oui, c'est l'heure de ma sieste de neuf heures. Comment vous pensez que je garde une peau aussi jeune malgré les ravages de l'âge ?

SE : On dit que vous avez un abonnement mensuel chez un chirurgien esthétique de Beverly Hills.

PM : Bon bon bon, allez allez, prochaine question !

SE : On aurait juste voulu savoir quels étaient vos prochains projets.

PM [ses yeux se plissent] : Mes projets... Pourquoi est-ce que vous voulez connaître mes projets ? Qui vous envoie ? Hein ?

SE : Ben, euh, Star Exclu.

PM : Vous ne saurez rien !

[Moran attrape son fleuret d'escrime et se lève en faisant des moulinets ; il trébuche contre sa chaise et tombe dans sa piscine. Ses gardes de sécurité se jettent des coups d'oeil en se demandant s'il faut l'aider. Athanase le jaguar pousse un feulement plaintif. Moran se hisse péniblement hors de l'eau ; sa fraise pend avec tristesse autour de son cou comme une corolle fanée. Il se rassoit et nous regarde d'un air défait.]

PM : Bravo... Vous avez gagné... Je m'avoue vaincu... J'espère que vous êtes fiers de vous...

SE : Vous savez, nous, c'est juste histoire de faire votre promo, hein. Ça ne peut que vous être utile.

PM : Ma promo... Hmm... Oui... Vous avez raison. C'est pas bête du tout, cette idée !

SE : Mais ne nous en dites pas trop, hein. Faites un peu de teasing.

PM : Diabolique. Eh bien j'ai un roman qui sort en septembre chez Mnémos. Il s'appelle Metalya entre les mondes, et mes employés... je veux dire, je vais en reparler bientôt sur le blog.

SE : Et c'est quoi, comme genre ?

PM : Genre, vachement bien.

SE : Non mais, le roman, c'est quel genre ? SF, fantasy ?

PM : C'est un roman de fantasy contemporain qui ressemble à de la SF, ou un roman de SF qui se fonde dans la fantasy. Il faut le lire pour comprendre. C'est aussi un roman policier. Et un roman psychédélique. Et c'est un roman plutôt drôle, ce qui n'était pas vraiment le cas de mes deux précédents.

SE : Ça a l'air bien.

PM : Honnêtement, je le trouve pas mal du tout. J'irais même jusqu'à dire que c'est mon meilleur roman. Mais enfin bon, ce n'est pas mon opinion qui compte, en l'occurrence.

SE : Vous pouvez nous en dire plus au sujet de Metalya entre les mondes ?

PM : Il va falloir patienter un tout petit peu. Mes employ... je prépare quelques billets de blog pour en parler.

SE : D'autres annonces ?

PM : L'automne va être occupé ! Je prépare une édition-traduction aussi, qui doit sortir un peu plus tard. Je n'en dis pas plus pour le moment. Et puis je travaille aussi comme consultant sur un projet multimédia, mais je n'ai légalement pas le droit d'en dire un mot. La compagnie a installé un drone tueur sur ma propriété, et si je révèle quelque chose, il me règle mon compte. Regardez par là.

[Moran montre un Roomba qui est en train d'aspirer les feuilles mortes autour de la piscine. Un clapet s'ouvre sur le dessus du robot et une tourelle miniature en sort, tourne dans toutes les directions, puis retourne dans son compartiment. Le robot émet un grognement menaçant.]

SE : Euh, on devrait peut-être partir, du coup.

PM : Ne vous en faites pas, on s'y habitue.

SE : Non, mais je crois qu'on va y aller, hein.

PM : Oh ben non ! J'ai même pas eu le temps de vous parler de ma crypto-monnaie, le MoranCoin...

SE : Envoyez-nous un mail, on insèrera quelque chose dans l'article.

PM : Et mes NFTs ! Je voulais vous montrer mes NFTS !!!

[Notre équipe s'éloigne d'un pas vif tandis que Moran tente de nous courir après, mais ses gardes de sécurité s'interposent pour l'empêcher de quitter le périmètre de sa villa. Nous rejoignons notre camionnette et quittons les Hollywood Hills à toute vitesse, encore secoués par cette rencontre brève mais intense avec la jet-set.]

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