Paysages sonores

 Metalya entre les mondes est né un après-midi de la fin du mois d'août 2015, alors qu'une petite semaine de vacances à Los Angeles était sur le point de se terminer.

Ma femme et moi étions assis dans la cour intérieure de notre hôtel sur Santa Monica Boulevard, assommés par le soleil et le shopping, ivres de farniente, à moitié allongés dans des fauteuils, la tête orientée vers le ciel d'un bleu de dessin animé. Nous n'avions aucune envie de rentrer à la maison. J'aurais pu rester assis là éternellement. C'est à ce moment que "Feel It All Around" de Washed Out s'est mis à jouer sur la sono.

Je connaissais "Feel It All Around" par la bande - c'était la musique du générique de Portlandia, une série à sketchs américaine que j'avais vue par fragments. Mais à ce moment précis, dans ce contexte los angélien, c'était comme si je redécouvrais la piste pour la première fois ; j'entendais un morceau qui résumait parfaitement la texture et le goût particulier de la semaine qui venait de s'écouler.

L'un des buts de l'écriture de Metalya - peut-être le vrai but, le seul important ? - était de retranscrire par les mots cette sensation, ce moment de synesthésie où le son, la vue, les odeurs et les souvenirs se sont mêlés pour donner sens à une expérience. Je n'ai pas tout de suite eu l'idée de Metalya ce jour-là ; les plus avisé.e.s parmi vous noteront que j'ai publié deux romans avant celui-ci, qui n'avaient pas grand chose à voir avec la paresse d'un après-midi en bord de plage (quoique, Les Six Cauchemars... J'en reparlerai dans un prochain billet). Mais cette texture particulière m'est restée en tête, ou dans le corps, et je me suis demandé pendant plusieurs années ce que j'allais pouvoir en faire, comment je pourrais la transférer de manière plus ou moins analogique sur le papier.

En juin 2019, j'étais en Grèce, sur une île des Cyclades (je vous rassure, toutes mes vacances ne sont pas aussi glamour que ces deux voyages de 2015 et de 2019). J'avais déjà La Crécerelle sous le coude à ce stade, et le processus éditorial sur Les Six Cauchemars était en cours chez Mnémos. À mes heures perdues, j'avais commencé à me construire une bande-son pour le projet Metalya - qui n'avait pas encore de nom - et j'ai passé la semaine en Grèce à écouter cette liste mouvante de titres chaque fois que j'avais un moment libre. Il y avait "Washed Out" bien sûr, mais aussi "Communication" d'Ace Marino et quelques autres pistes dans le même style.

Je ne pense pas avoir écrit une seule ligne pendant cette semaine, mais je me suis immergé dans une ambiance sonore qui a modelé mes idées et m'a aidé à démarrer rapidement lorsque le moment de l'écriture est venu, un peu plus tard.

Ces questions de texture m'obsèdent dans chaque histoire que j'écris - quelle est l'ambiance que j'essaie de créer ? quelle est la saveur particulière que je veux susciter, comme une sensation fantôme dans l'esprit du lecteur ? Je peux oublier les noms des personnages et même l'intrigue de mes livres préférés, mais le ressenti qu'ils ont provoqué flotte encore autour de moi des années plus tard. À l'échelle d'une scène ou d'un épisode, c'est un exercice difficile, mais technique, c'est-à-dire qu'il se résout d'une manière qui est relativement mesurable : est-ce que, dans cette scène, j'ai réussi à rendre l'impression voulue, l'aspect expérientiel ? Mais à l'échelle d'un roman entier, la réponse à cette question, et les moyens de parvenir à cette réponse, ont toujours quelque chose d'insaisissable.

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