35 ans de Défis fantastiques


Saviez-vous que la France était le seul pays où la série de livres-jeux "Défis fantastiques" n'a jamais cessé d'être publiée ?

Créée par Steve Jackson et Ian Livingstone en 1982, elle a commencé à paraître en traduction française il y a trente-cinq ans, en 1983 avec Le Sorcier de la Montagne de Feu. Quand j'étais ado et que je dévorais la série, elle faisait partie de la gamme "Un livre dont VOUS êtes le héros" chez Folio Junior.


Quand j'ai commencé à lire des livres-jeux (je devais être en début de collège), la difficulté des "Défis fantastiques" me rebutait, ainsi que l'autonomie des volumes : chaque livre de la série est indépendant des autres et raconte une histoire autonome, même si les différents tomes partagent souvent un même univers de fantasy (le monde de Titan). J'étais plus attiré par les séries qui racontaient une histoire continue de volume en volume, et dans lesquelles la difficulté ne freinait pas la fluidité de la narration.

Après quelques années j'ai viré de bord, et j'ai commencé à trouver que l'intérêt des livres-jeux résidait dans leur aspect "jeu" au moins autant que dans leur aspect "livre" : après tout, si je voulais lire une bonne histoire, je pouvais tout aussi bien lire un roman classique, et si c'était d'une histoire interactive que j'avais envie, je pouvais jouer à un jeu de rôles avec mes amis. L'attrait du livre-jeu, c'était l'épreuve, le défi : allais-je trouver la solution, le chemin qui me mènerait à la victoire ?


Comme un amateur de cuisine épicée ou de saut à l'élastique, je me suis mis à chercher des sensations de plus en plus fortes, et c'est la série "Défis fantastiques" qui a pu me les offrir. Je fais partie des gens qui sautent les combats dans les livres-jeux et qui intercalent leurs doigts entre les pages pour marquer les paragraphes où on a un doute ; ce qu'il me fallait, c'était donc des livres vraiment retors, où il y avait moyen de se fourvoyer dans les grandes largeurs.

Très vite, Steve Jackson et Ian Livingstone ont fait appel à d'autres auteurs pour écrire la série, mais j'ai un attachement particulier pour les volumes écrits par les deux fondateurs. Livingstone a tendance à écrire des dungeon crawls classiques mais rudes, tantôt dans des donjons au sens propre, tantôt dans des environnements urbains (La Cité des voleurs) ou sauvages (La Forêt de la malédiction). Son Labyrinthe de la mort est particulièrement mémorable, un plaisir de puriste. Ses meilleurs volumes n'ont quasiment pas d'intrigue : on est juste plongé dans un environnement hostile, dont il s'agit de se sortir sans trop de dégâts.


Steve Jackson est le plus tordu des deux : plusieurs de ses livres bousculent le format traditionnel et ont une difficulté élevée. Je les ai détestés avant de les adorer. Ils ne sont jamais infaisables, mais requièrent de la patience et de la réflexion (dont je manquais, manifestement, quand j'avais douze ans). Sa tétralogie "Sorcellerie !" (Les Collines maléfiques, La Cité des pièges, Les Sept Serpents et La Couronne des rois) est exceptionnelle. Et j'ai un attachement particulier pour La Créature venue du chaos, archi-difficile, archi-tordu, mais incroyablement satisfaisant quand on en vient à bout, et d'une grande originalité : on commence l'histoire sous la forme d'une créature monstrueuse qui n'a pas de libre-arbitre, et on devient petit à petit plus intelligent et plus autonome. C'est autant une quête qu'une enquête.


Parmi les autres auteurs de la série, j'ai une préférence pour Stephen Hand, auteur de La Vengeance des démons, de La Légende des guerriers fantômes et de L'Arpenteur de la Lune. Il donne à ses trois récits une ambiance gothique inspirée des films des studios Hammer, et ses livres accordent beaucoup d'autonomie au lecteur dans ses choix de parcours.


Le monde de Titan, dans lequel se déroulent la majorité des volumes, est un univers de fantasy classique, mais avec une ambiance sombre, un côté heavy metal (les couvertures souvent horrifiques laissaient mes parents sceptiques...). Jackson et Livingstone sont non seulement les créateurs de la série "Défis fantastiques" mais aussi les cofondateurs de Games Workshop en 1975 : ils sont donc largement responsables de l'esthétique grimdark qui a marqué la fantasy britannique à partir des années 1980 (j'aurai peut-être l'occasion d'en reparler sur ce blog). Avec "Défis fantastiques", ils ont lancé des artistes d'exception comme Russ Nicholson, Ian Miller, John Blanche ou Martin McKenna.

La série est en train d'être relancée en Grande-Bretagne, avec de nouveaux volumes par Ian Livingstone (The Port of Peril) et Charlie Higson (The Gates of Death). Le marché du livre-jeu a souffert de l'explosion des jeux vidéo à partir des années 1990, mais s'il y a une série qui mérite d'être ressuscitée, c'est bien "Défis fantastiques".

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