Genre !

Quel est le genre littéraire de Metalya entre les mondes ? Dans les comptes rendus qui sont sorties ces dernières semaines, j'ai vu passer des termes comme "fantasy", "fantasy urbaine", "science-fiction", "polar", et même "cyberpunk". C'est compliqué ! Quand j'en parle à des amis, je leur dis généralement que c'est un roman policier, mais dans un univers de fantasy, mais attention, dans un univers de fantasy moderne, et du coup la fantasy a un petit côté science-fiction, et donc... Ouais, c'est compliqué.

Et le pire, c'est que je crois que j'ai fait exprès ? Hmm.

Un genre littéraire, ce n'est rien de plus qu'une façon de dire : "Ce texte ressemble à ceci mais ne ressemble pas à cela." Les genres sont utiles aux auteurs - un peu - pour savoir où ils se situent dans une tradition littéraire, aux éditeurs - pas mal - pour se construire une ligne éditoriale identifiable, et aux lecteurs - souvent - pour savoir si un texte va leur plaire en fonction de leurs lectures antérieures.

Dans mes deux romans précédents, la question du genre ne se posait pas trop : La Crécerelle et Les Six Cauchemars étaient des romans de bonne vieille fantasy, et même d'un sous-genre de fantasy bien identifié, la sword & sorcery (j'en ai parlé abondamment sur ce blog). Le but, c'était de faire quelque chose de très identifiable, de jouer dans un bac à sable particulier, et de voir si je pouvais faire des choses originales à l'intérieur ce bac à sable, sans chercher forcément à en sortir. Comme je suis contrariant, je suis quand même allé lorgner du côté de la SF, notamment pour le système de magie. Mais cela restait quand même de la fantasy bien identifiable.

Avec Metalya, j'ai voulu faire quelque chose de très différent des aventures de la Crécerelle sur plusieurs plans. En termes de genre, l'une des solutions aurait été de simplement écrire dans un genre différent - pondre un roman de SF, par exemple. Mais puisque La Crécerelle et Les Six Cauchemars étaient très solidement ancrés dans un genre spécifique, il me semblait plus intéressant de travailler sur le mélange des genres, pour changer.

En fait, c'est un peu plus compliqué que ça. D'un côté, avec Metalya, j'ai vraiment voulu travailler dans un genre différent - celui du polar. Et dans un sens, les modèles de Metalya sont aussi reconnaissables que ceux des aventures de la Crécerelle : le roman noir, le style hard-boiled américain des années 1930-1950, les privés qui boivent trop, ne prennent pas assez de douches, et se font tabasser dans des ruelles sombres. Je reparlerai d'ailleurs de mes inspirations policières dans des billets à venir.

Mais de l'autre côté, le polar est un genre qui se combine très bien avec d'autres, parce que c'est un genre qui se définit par sa structure narrative - celle de l'enquête. Le polar est agnostique en termes d'univers : il peut se situer à Grenoble en 2022, dans les Caraïbes en 1706, sur Pluton en 2573, ou au royaume des nains sous le règne de Slipou le troisième. L'enquêteur peut être un officier de police, une détective privée, une femme au foyer, un menuisier ou une monitrice de ski, du moment qu'on trouve une raison narrative pour qu'elle/il mène l'enquête. Un roman policier fonctionne dès lors qu'un individu commet en secret un acte prohibé, et qu'un autre individu décide de découvrir l'identité du premier. Le reste, c'est de l'habillage.

La fantasy ou la SF, en revanche, sont des genres entièrement définis par leurs univers et les règles qui les régissent. Ils sont agnostiques en termes de structure narrative. La fantasy se définit par des univers de fiction où la magie et le surnaturel font partie des règles du monde et sont globalement acceptés par les protagonistes et par la société. La SF se définit par des univers régis par les lois de la science, mais où celle-ci est poussée spéculativement au-delà de ses réalisations actuelles. Aucun de ces deux genres n'impose un certain type d'histoire au sein de ces univers.

Bien sûr, fantasy et SF tendent à générer des histoires-types, mais dans le fond, on peut raconter ce qu'on veut dans ces deux genres : prenez Madame Bovary, gommez le contexte normand du XIXe siècle, resituez l'action dans un royaume médiévalisant où les pharmaciens concoctent des poudres magiques et les calèches sont tirées par des trolls, et vous avez un roman de fantasy. Inversement, resituez Madame Bovary dans une métropole futuriste construite sur la surface intérieure d'une sphère de Dyson qui flotte autour d'une naine blanche quelque part au-delà de notre superamas de galaxies local, et vous avez un roman de SF. Est-ce que ce sera un bon roman de fantasy, un bon roman de SF ? Peut-être pas, parce que l'histoire de Madame Bovary n'est pas particulièrement enrichie par ces changements de genre. Mais dans le premier cas, ce sera bien de la fantasy. Et dans le second, ce sera bien de la SF.

C'est intéressant, d'ailleurs, comme les genres dont la fiction populaire est friande peuvent avoir des critères de définition aussi hétéroclites. Le polar est défini par une certaine structure narrative, mais le roman sentimental aussi : une histoire d'amour peut se dérouler dans n'importe quel cadre. En revanche, la fantasy et la SF sont entièrement définis par leur cadre. L'horreur est définie par l'effet qu'elle souhaite susciter chez le lecteur - effet qui est dans le nom même du genre : l'horreur horrifie. Même chose pour le roman comique ou humoristique : il s'agit de faire rire. Et passons sur le roman d'espionnage, le roman pornographique, le roman de cape et d'épée, le roman gothique, le roman d'aventure, et ainsi de suite...

Ce qui est intéressant, c'est que tous ces critères de nature très différente sont rarement exclusifs et peuvent donc se combiner : on peut écrire un polar de fantasy humoristique, ou un roman de SF horrifique, ou un roman à l'eau de rose historique teinté de fantasy, et ainsi de suite. C'est à peu près ce qui est arrivé avec Metalya. Metalya entre les mondes est un polar, oui, mais un polar situé dans un univers de fantasy. Et comme cet univers de fantasy a atteint un niveau technologique et social globalement similaire à notre monde contemporain, les éléments magiques ont une teinte scientifique, voire science-fictionnelle.

Quant à l'étiquette "cyberpunk", elle tient sans doute au fait que Metalya se déroule dans un contexte urbain ultra-moderne où les intérêts privés et les pouvoirs publics se confondent, sur fond d'accélérationnisme scientifique et de capitalisme débridé. Ce n'est pas du cyberpunk, mais ça en a le parfum. Ce qui était déjà le cas pour mes deux romans précédents.

Mon slogan d'écrivain : "Patrick Moran - c'est pas tout à fait du cyberpunk."

Illustrations de Jinhwa Jang, Tom Gauld, Ken Kelly, Glen Orbik, Tom Gauld (bis) et Daniel Brown.

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