"Défis et sortilèges", des aventures cartographiques

J'enchaîne sur mon billet de la semaine dernière, puisque les livres dont vous êtes le héros me trottent dans la tête ces temps-ci...




La série "Défis et sortilèges" (Folio Junior, comme d'hab) est une des premières à laquelle j'ai vraiment accroché quand j'étais collégien. C'est une série française, écrite par Gildas Sagot, dont la page Wikipédia nous révèle que c'était déjà un habitué du milieu du jeu et de l'imaginaire quand le premier tome de la série est sorti en 1988.

"Défis et sortilèges" comptait huit volumes, mais c'était vraiment deux séries distinctes de quatre tomes chacune. Les tomes 4 à 8 formaient un cycle traditionnel en quatre parties, mais les quatre premiers avaient un format beaucoup plus inhabituel.

Intitulés Caïthness l'élémentaliste, Keldrilh le ménestrel, Péreim le chevalier (écrit non par Sagot mais par un certain Bruno Giraudon) et Kandjar le magicien, tous parus en 1988, ils racontaient en fait quatre aventures distinctes, celles des personnages éponymes, qui explorent - chacun pour des raisons qui lui sont propres - un territoire nommé le monde de Dorgan.


La carte ci-dessus est la même pour les quatre livres. Les différents tracés de routes indiquent comment se déplacer d'une zone à une autre. Un index des lieux indique à quel paragraphe se rendre lorsqu'on arrive dans un endroit donné (que ce soit la première fois ou non). Chaque lieu contient son lot d'aventures et de rencontres, et on peut y retourner autant de fois qu'on veut tant que la mention Fin d'exploration n'est pas rencontrée.

Chacun des quatre héros a sa propre quête ; il ne commence pas l'aventure au même endroit de la carte ; et la fin ultime de son aventure ne se déroulera pas au même endroit que les autres. Hormis ces particularités (et dans une certaine mesure, la nature des aventures dans chaque lieu), l'exploration de la carte se fait de manière très libre.
À des moments-clés de ses pérégrinations, le lecteur est amené à choisir entre quatre attitudes, la ruse, la prudence, l'amitié et la colère, et à se référer au "Livre du pouvoir" en fin de volume pour savoir comment son choix influe sur la situation. Ces choix donnent des points de pouvoir au joueur, lui permettant de débloquer des actions auparavant impossibles, ou d'affronter des adversaires surpuissants - ce qui évite de terminer le jeu trop vite tout en ne limitant pas les explorations du lecteur.

On peut jouer à ces quatre livres à plusieurs, en lisant en parallèle ; lorsque deux héros ou plus se trouvent dans la même zone, l'un d'entre eux devient le meneur. Souvent, les livres indiquent quel personnage doit mener, surtout dans des lieux qui sont connectés avec la quête personnelle de l'un d'entre eux.
Je n'ai pas tenté le jeu à plusieurs, mais j'ai pris grand plaisir à lire les quatre volumes en solo. La redondance entre volumes fait que j'ai préféré ceux que j'ai lus en premier : Keldrilh le ménestrel surtout, puis Kandjar le magicien. Mais tous les quatre sont de très bonne qualité. Le système cartographique crée surtout un grand sentiment de liberté, même si à l'intérieur de chaque zone les choix du lecteur sont relativement limités (hormis les moments où on se réfère au "Livre du pouvoir").


Les quatre volumes suivants de la série (Les Héritiers de Dorgan, Le Sanctuaire des Horlas, La Huitième Porte et L'Ultime Réincarnation, 1991-1992) sont de facture beaucoup plus classique : ils se déroulent un demi-siècle après les quatre premiers, et racontent la lutte de quatre héros (les héritiers de Keldrilh, Caïthness, Kandjar et Péreim) contre un maléfique enchanteur. Les quatre tomes racontent une histoire suivie, et on incarne simultanément les quatre protagonistes. Le "Livre du pouvoir" est repris à la première série, mais correspond cette fois-ci aux quatre personnages principaux : chaque choix dans le "Livre du pouvoir" équivaut à décider lequel des quatre héros sera employé pour résoudre une scène donnée. Dans cette deuxième série, Gildas Sagot abandonne le principe de libre exploration de la première, mais il ne la compense pas par une arborescence particulièrement bien construite : le récit est très linéaire et laisse peu de vrais choix au lecteur. De nombreux paragraphes renvoient à un seul autre, hormis les cas où on se réfère au "Livre du pouvoir". On sent que Sagot a plus envie de raconter une histoire que de bâtir un livre-jeu.
N'empêche que les quatre premiers tomes de la série "Défis et sortilèges" font toujours partie de mes livres dont vous êtes le héros préférés. À ma connaissance , seule la série "Fabled Lands" de Dave Morris et Jamie Thomson (1995-1996) utilise le même principe de libre exploration cartographique, quoique en poussant les choses plus loin (dans "Fabled Lands" chaque volume représente une région du monde total, et on peut passer d'un volume à l'autre dans tous les sens au fil de aventures). Tout ça pour dire que "Défis et sortilèges" est une série qui sort vraiment de l'ordinaire.

J'oubliais : les illustrations de Philippe Mignon (6 des 8 volumes) sont magnifiques.

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